Hier, visite au garage où mon mari a acheté sa nouvelle moto, il devait faire contrôler un truc.Après cette visite, nous planifions partir à Trèves, chez « Louis » et « Polo », acheter des ustensiles comme une poche de réservoir pour moi, des accessoires pour le GPS de mon mari et des sacoches pour transporter nos habits pour le voyage que nous allons entreprendre vers la Suisse, l’Autriche et l’Allemagne la semaine prochaine.
Lorsque nous arrivons au garage, nous nous garons, comme toujours, devant la porte principale. Tandis que mon mari va chercher le garagiste pour lui expliquer son problème, je l’attends dehors, puis je le vois ressortir, enjamber sa moto et la conduire vers l’arrière, là où se trouve l’atelier. Je décide, sur un coup de tête, de le suivre avec ma sorcière. Si j’aurais su…
Lorsque j’arrive devant l’une des grandes portes de garage, je me gare à côté de quelques motos et éteins le moteur. J’enlève tranquillement mon casque et mes gants et aperçoit qu’un des mécaniciens contrôle déjà la moto de mon mari. Impassiblement, je jette un coup d’œil alentours et découvre tout à coup un jolie CB1100, garé non loin de la sorcière. Elle est magnifique, toute noir, le bloc moteur chromé, qui, tout comme le garde boue avant, étincelle dans l’éclat du soleil. Elle est tellement belle que je m’approche d’elle et l’observe, intéressée. Je l’avais déjà remarquée, lors de sa sortie l’année dernière, dans la salle d’exposition de mon concessio. J’avais tout de suite flashée sur elle et le concessio m’avait fait m’assoir dessus. Mais elle était trop haute, j’arrivais à peine avec les pointes de pieds sur le sol. Du coup, je m’étais dit que cette moto, aussi belle fût-elle, n’était pas faite pour moi et je l’avais reléguée dans un profond coin de ma mémoire.
Mais la voici qui refait surface, qui me nargue, fière et noble, et semble m’inciter à l’essayer. Une étiquette avait été collé sur son réservoir : « Moto-test ».
- Tu veux l’essayer ?
C’est la voix de mon mari, derrière mon dos, qui me questionne.
- C’est une moto-test, tu peux l’essayer, si tu veux
- Non, je préfère pas, car si je l’essaye, je risque de l’acheter…
- Mais vas-y, c’est l’occasion, c’est maintenant ou jamais, m’encourage-t-il.
- Non, vraiment pas, je ne veux pas.
Il me regarde, il doit se douter que je me bats avec une petite voix intérieure qui me défie de monter sur cette magnifique moto et de prendre la fuite, la 11cent n’attend que ça.
- Non. Non, non, non !
Je détourne le regard, me concentre sur la moto de mon mari. Tout est normal, c’est confirmé. Nous pouvons partir tranquille la semaine prochaine. Insidieusement, mes yeux cherchent à nouveau la belle 11cent. Elle est là, elle m’attend, me fait un clin d’œil…
- Non !
Mon mari m’a observé. Il m’encourage :
- Mais vas-y. Essaye-là !
- Oui, tu peux l’essayer, si tu veux !
C’est le garagiste, il m’incite également à franchir le pas. Mais pourquoi doit-il s’en mêler, celui-là ?
- Non, je préfère pas.
Ma voix est faible, je suis sur le point de flancher. Non, non, il ne faut surtout pas…
- Allez, viens ! On va faire un tour ensemble…
Mes yeux se posent à nouveau sur la 11cent. Qu’est qu’elle est belle… J’hésite encore, je me connais, si je pose mes fesses sur cette machine, je n’aurais plus la détermination d’y renoncer. Une petite voix maligne marmonne dans ma tête : « Vas-y, vas-y, vas-y…
- Bon, okay ! De quels papiers as-tu besoin pour que je puisse la conduire ?
Quelque part, je me dis que la préparation des papiers va me faire renoncer au projet qui commence à s’installer dans ma tête.
- Mais aucun, je vous connais, vous deux. Allez-y !
Râté !
- Okay, mais juste un petit tour !
Je deviens fébrile, tout d’un coup. Tout en enfilant mon casque, je démarre le moteur. On aurait dit qu’il n’attendait que ça. Un son grave et puissant s’élève soudain du fond de ses entrailles, comme une promesse, un serment. Avec une certaine appréhension, je m’assis sur elle, sens les vibrations du moteur sous mes fesses. Doucement, presque respectueusement, je passe la première, lâche l’embrayage, la 11cent roule délicatement vers la sortie du garage. Je me sens tout de suite en confiance, elle est légère et agile comme le vent. Je prends vers la gauche, contourne le rond-point et file vers le nord, mon mari à mes trousses. La 11cent obéit au quart de tour, elle est flexible et se penche avec moi dans les virages. Je sens ses chevaux, impatients et pourtant dociles, piaffer sous le siège. Je les sollicite, ils se lâchent et me projettent vers l’avant. Qu’est-ce que c’est agréable, à moi la liberté, à moi le bonheur.
Nous roulons quelques kilomètres, mon mari toujours prudemment derrière moi. Puis, au début d’un petit village, je m’arrête, me gare dans l’entrée d’un garage privé, j’aimerais expérimenter la maniabilité à l’arrêt, soupeser le poids, contrôler si je peux facilement la manipuler. Je fais un demi-tour à vitesse très lente, c’est un vélo, cette moto, puis fais un signe de tête à mon mari :
- Nous retournons au garage !
- Tu ne veux pas l’essayer sur l’autoroute, aussi ?
- Non, je suis convaincue, la 11cent et moi, nous deviendrons très vite intimes, comme avec la sorcière. C’est le coup de foudre…
Il me connait assez longtemps pour savoir qu’il est inutile d’insister. Au retour, je la pousse encore une fois, juste pour le plaisir. Puis, au rond-point, quelques inclinaisons, quelques arrêt-redémarrage juste après, mais l’affaire est entendue, nous nous entendons bien, elle et moi. Dans ma tête, tout se bouscule : je ne lâcherais pas ma sorcière, c’est sûr. Mais mon fils, il peut bien en profiter, non ?
- Dis-moi, peut-on brider ma moto jusqu’à 35 kwh, pour l’A2?
Je questionne le garagiste, je fais bien entendu référence au permis A2 de mon fils.
- Sans problème !
OUF ! Ma sorcière restera en famille.
- Okay, alors, écoute, je suis très intéressée, mais il faut d’abord que je m’organise. Je ne veux pas vendre ma sorcière, il faut que je discute avec mon fils, histoire de voir s’il veut hériter d’elle. Ce n’est qu’en fonction de cette décision que je prendrai la mienne !
Après avoir quitté le garagiste, sur le chemin vers Trèves, je réfléchis fiévreusement. Le prix de vente annoncé est équitable, c’est une moto d’occasion. Je peux me l’offrir en puisant sur le compte d’épargne. Maintenant, il faut que mon fils soit d’accord à utiliser la sorcière.
Arrivés à Trèves, nous nous garons devant le magasin de « Louis ». Je téléphone à mon fils, le joins pendant sa pause de midi, il a le temps de parler :
- Dis-moi, cela t’intéresse de rouler avec la sorcière dès que tu auras ton permis. On la fera brider à 35 kwh…
Silence. Je sens sa réticence :
- Oui, mais si on veut faire un tour ensemble, on va se la disputer !
Ah, c’était donc ça, sa réserve, sa retenue ! Je souris.
- Mais non, on ne se la disputera pas. Je m’achète une nouvelle, tu hérites de la sorcière !
- Quoi ? Tu t’achètes une nouvelle ? Laquelle ?
- La 11cent, celle que j’ai toujours trouvée chouette. Je l’ai essayée et ça marche !
- WOUAW, maman ! La classe ! Ouais, bien sûr que je suis intéressé, et comment !
- Tu la trouves cool, alors, ma sorcière ?
- Bien sûr ! Elle est hyper « geil » ! Mais il faut que tu enlèves tes sacoches !
- Pas de problème !
Je suis heureuse, tout s’organise dans mon sens. Je téléphone au garagiste, lui demande s’il peut préparer la 11cent pour vendredi, pour notre départ en Suisse. S’il peut transférer mon GPS d’une moto à l’autre et surtout, si le réservoir est en tôle, puisque je m’apprête à acheter une sacoche avec des magnets. Il répond par l’affirmative à toutes mes questions.
- Mais si tu prends la nouvelle moto pour les vacances, il faudra détacher les vignettes que tu y as déjà collées sur la sorcière…
- Je m’arrangerai !
Après nos achats, nous partons enfin pour la maison, il est plus de midi et nous avons faim. Ma fille a sûrement déjà préparé son filet américain. Pendant le trajet du retour, j’ai soudain un léger doute : ai-je bien agi ? Était-ce une bonne idée de sauter sur cette occasion ? Je ne peux pas me résoudre à « abandonner » ma sorcière sur un coup de tête, sur une simple rencontre à l’arrière d’un garage. Tout compte fait, je partirai avec ma sorcière en Suisse, et m’occuperai de la 11cent qu’après notre retour. Oui, je repasserai chez le garagiste tantôt et lui dirai que la 11cent, ce sera pour après les vacances. J’aimerais profiter de ma sorcière encore un peu…
La voici, au garage:
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